Je réédite cet article du 28 décembre 2010 bien avant les fête. On ne sait jamais, si le Père Noël en prenait ombrage...
n a remis les meubles en place, mais le sapin est encore là. Reste dessous quelques cadeaux, destinés à des absents, mais auxquels on pense quand même. Règne dans l'appartement une atmosphère endormie et ce joyeux désordre de lendemain de fête. Les objets et les habitudes rejoignent petit à petit leur destination. Je suis beaucoup trop en congé pour en éprouver la moindre nostalgie. D’autant que ça a été un super Noël, recomposé, comme il se doit dans nos familles éclatées, à partir de trois autres, du 18 au 26, mais cet assemblage ayant donné un excellent cru.
J'aime cette heure des lendemains, où l'on peut repenser et savourer tranquillement la veille. Ce doit être mon côté ruminant. Je peux maintenant ressortir de ma poche cette idée apparue au beau milieu de la fête, mais alors mise de côté - j'avais à boire et d’autres chats à fouetter : Noël et le mariage ont peut-être en commun de nous faire passer une journée au-dessus de notre condition.
Oui, je sais : voilà plutôt un sujet pour Ysengrimus et je lui offre très volontiers, enrubanné. Il faudrait bien ça de culture et de science pour ne pas naviguer comme moi à vue sur cette idée. Bah, on verra bien ce à quoi arriveront ma plume et ma cervelle barbouillée...
Même pour un non pratiquant comme moi, le mariage parait offrir à profusion le ban et même l’arrière ban nécessaire pour étayer l’idée que certaines fêtes nous veulent « pour un jour, un jour seulement, un jour, un jour quelquefois, beaux, beaux et riches à la fois » pour paraphraser scandaleusement « La chanson de Jacky » de J. Brel. Mais tiens ? j'aperçois sur notre route hasardeuse un écueil à éviter. Bougez pas, je contourne : La fête, vous me direz, n'importe quelle fête, comporte nécessairement des éléments transgressifs, puisqu'elle sert aussi à ça. Le carnaval en donne le meilleur mauvais exemple en proposant comme règle du jeu de chambouler l'ordre et les conventions sociales cul par dessus tête. On y change en apparence de sexe, de condition, d'emploi, de personnage, on s'approprie l'espace public, on défile, on fout le bordel et finalement le feu au bonhomme carnaval. Bref, quand on « fait la fête » c’est bien pour sortir de l’ordinaire. Pourquoi le mariage y échapperait-il ?
Certes, mais nous aurons alors constaté ensemble que la fête nous entraîne volontiers en dehors de notre condition. Mais pourquoi, parmi ces ailleurs un moment accessibles, privilégier l’ailleurs particulier, l’au-dessus de la classe sociale supérieure ? Parce que la robe blanche à traîne, le château de la réception, la limousine convoyant les mariés, la virée à Venise, j’entends bien leur côté féerique et merveilleux, mais je vois surtout leur façade aristo. De ce point de vue images du monde là, le plus beau jour de notre vie serait celui où nous singeons la noblesse.
Bon, le mariage : c’est fait. Reste à baliser le chenal jusqu’à Noël. L’aristocratie dont j’ai rhabillé le mariage n’est qu’une image. Un film monté à partir de ce que le bon peuple imagine des fastes et des ors de la vie de château, moitié Versailles, moitié Disney. Du coup, à regarder Noël par ce bout d’une lorgnette qu’en dépit de messages subliminaux réitérés, personne ne se décide à m’offrir, qu’est ce qu’on voit ?
Un banquet - Le repas de Noël rassemble un nombre inaccoutumé de convives autour de mets inhabituels et coûteux. Il faudrait étudier de près les plans de table pour confirmer dans quelle mesure ces derniers mettent en oeuvre des liens d’allégeance, mais en rassemblant ses membres autour d’un repas, c’est bien l’idée même de famille qu’on voudrait restaurer, cet ensemble de liens du sang et d’unions maritales ou presque. Comme s’il s’agissait de réaffirmer une fois l’an sa force, sa cohésion, en sacrifiant au rite du banquet, dont on pourrait se demander, au départ, s’il n’était pas une sorte de représentation à usage interne pour rappeler à chaque convive quelle était exactement son rang dans le partage du patrimoine. Du coup, on comprend mieux que les amis ne soient pas invités à Noël. S’il ne s’agissait que de partager la joie d’un bon repas, ils y seraient, et on irait au resto, comme au nouvel an. Mais là non : il s’agit bien d’une réunion de famille dans la grande salle du château pour partager symboliquement entre actionnaires les abondants dividendes affectifs que figurent assez bien le foie gras et la dinde aux marrons.
Un décor - Faire riche est bien le mot d’ordre. On sort le limoge et le baccara des grands jours et qu’importe si les plats de service sont en carton tant qu’ils sont dorés : faut que ça brille. Bougies partout, et hop, bienvenue au Moyen Âge ! Tu préfères Renaissance ou XVIIème ? Pas de problème, tant que ça reste une époque où l’on n’avait pas l’électricité, où s’éclairer d’une profusion de bougies changeait de la maigre chandelle et signait à coup sûr le grand luxe. Pour l’or, on va faire court : il signe de tous temps la richesse et le pouvoir. J’ai un peu plus de mal à faire rentrer les guirlandes, les boules et le sapin dans cette lecture gauchiste de nos agapes, mais peut-être en eux réside seulement l’idée qu’après l’hiver, la promesse de verdure, de fruits rouges et de lumière sera une nouvelle fois tenue ?
Des cadeaux - Le Père Noël ne me contredira pas : certaines listes de cadeaux ressemblent à des listes de courses (ou de mariage ; mouhahaha !) On ne cherche plus seulement le petit quelque chose qui fera plaisir, Noël est également l’occasion de se cotiser pour offrir le gros truc qui manquait. Mais on est de toute façon dans un système où cheminée ou pas, tout ça tombe un peu du ciel et ne sent ni la sueur ni les larmes. En établissant un lien direct entre le vouloir et l’avoir, le cadeau de Noël nous rapproche-t-il plus de la toute puissance des enfants ou de celle des rois ? Ici, la seconde proposition m’arrangerait mieux.
On m’objectera - sans doute à juste titre - que Noël, c’est surtout du merveilleux, de la magie, des lumières, une trêve, du plaisir partagé en famille. Ok, ok, je suis le premier client, je vous assure ! Mais ma question demeure : comment se fait-il que l’abondance apparente et l’apparence de paix empruntent à ce point les apparences de la fortune et les signes traditionnels du pouvoir ? Comment se fait-il que nous soyons autour du 25 décembre si fascinés par des trucs qui, à d’autres moment de l’année, nous sembleraient juste « bling-bling » et très éloigné de nos valeurs ordinaires ? Du coup, je me demande si pour maintenir le statu quo, en plus de s’arranger pour que les pauvres se battent entre eux, il n’y aurait pas un autre moyen, annuël celui-là : nous gaver jusqu’à la nausée. Comme si d’avoir eu beaucoup trop un jour et sans devoir ni le gagner ni le mériter, devait nous retenir pour un an de revendiquer ce à quoi nous avons droit...
Une flûte de champagne à la main, un toast au saumon dans l’autre, mollement avachi dans un canapé, entourés des enfants et de leurs chéries, la mienne pas loin, quoique passagèrement aphone, tous impatients d’ouvrir nos cadeaux, j’étais bien loin de la lutte des classes et proche de penser que tout ça pourrait peut-être passer pour un moment idéal. Aux yeux d’un gamin peut-être...
(Non mais en vrai, je n'ai absolument pas les yeux de cette couleur là : je les ai trafiqués façon "Tooms" dans Photoshop.)