Cette note a été réécrite à partir d’une précédente, publiée sur « Souriez, c’est pour la radio » en mai dernier, dans une version bien trop ébouriffée.
e temps en temps, peut-être pour singer Arte, M6 tente elle aussi la soirée thématique, comme il y a quelques temps autour de l’immobilier, en présentant successivement plusieurs épisodes de « Cherche maison ou appartement » suivi de « Ma maison à tout prix »
Cherche maison ou appartement
Pour cette émission de début de soirée au moins, l'intention est claire : elle vise à relancer à la hausse le marché de l’immobilier d’occasion. Des gens qu’on suppose issus de la vraie vie cherchent en vain à déménager. Ils ont tout essayé ; rien à faire. Mais hop, grâce à l’intervention des agents immobiliers vedette de M6, ils vont visiter des ruines insalubres, moches, mal fichues et dont la déco est à gerber. Mais heureusement, tadaaaam ! cinq minutes avant la fin de leur temps imparti, on leur déniche l’appartement ou la maison correspondant exactement à ce qu’ils cherchaient, mais 20 000 euros plus cher que leur budget initial, quelque soit ce budget. Voilà pour le concept. Pour la dramaturgie, on actualise le thème inusable de la quête par quelques variations : Damien arrivera-t-il à trouver un deux pièces qui lui plaise mais qui convienne également à ses parents puisque c’est eux qui financent ? David et Jonathan le sympathique couple au crâne rasé auquel l'animateur fait la bise, arrivera-t-il à quitter son appartement beaucoup trop petit pour un autre pas tout à fait assez grand ? La Famille F. trouvera-t-elle vers Marseille un toit pour ne pas se disloquer à la suite de la mutation de Monsieur dans le grand Sud ? Autant de petits contes brodant chacun sur ce thème très universel de la quête. J'aime bien. Avoir un chez soi pour abriter les siens reste assez primaire comme besoin, mais justement, ça parle assez bien au primate logeant en moi, dont les pseudos prétentions intellectuelles se satisfont souvent d’émissions débiles et d’un sandwich charcuterie.
Mais cette note-ci, sous des dehors de chronique télévisuelle verbeuse, voudrait se demander ce qui se passe quand un bug intervient dans le conte de fée permanent ?
Ma maison à tout prix
Un concept de télé-réalité un peu flou, la seule chose paraissant rassembler les personnages dont on suit les aventures, étant leur choix d’habiter « différent » : un trop jeune couple installé dans une cabane, un père de famille effectuant lui-même les travaux de réhabilitation de sa maison, une retraitée récente s’installant en co-location avec d’autres seniors, une mère de famille venant de racheter son deuxième château en ruine.
Mais quelque chose a dérapé. Comme si, engagée par sa nécessité intérieure même sur une piste qui l'éloignait du grand autoroute consensuel, l'émission avait pris peur et choisi la fuite en avant. On aurait pu, pour chacune des quatre familles données en spectacle, s'en tenir au reportage. Après tout, vivre dans une cabane, un chantier perpétuel, une horde de vieux ou un château en ruine, est au départ assez original pour susciter et entretenir une certaine curiosité. Mais non. On est sur M6, on est a la télé : il faut raconter des histoires. Là où l'émission est devenue vertigineuse, c'est en donnant l'impression qu'en se fourvoyant, et les personnages avec elle, la seule issue des quatre histoires reposait sur la capacité des protagonistes eux-mêmes de s'en éjecter pour en écrire une autre. Heureusement que le format était limité, on aurait risqué sinon de virer Projet Blair Witch ou Six personnages en quête d'auteur.
Tenez, le jeune couple en cabane par exemple. Je vous plante le décor : tous deux néo baba écolo tendance radicale, la tête pleine de robinsonnades mais ne sachant pas tenir une scie. L'histoire commence plutôt bien. Il fait beau, on est au coeur d'un paysage français de moyenne montagne, le couple et son bébé passent l'été à l'ombre sous trois planches et deux rondins, l'eau de la source arrive sur un évier extérieur et deux panneaux photovoltaïques alimentent l'ordi. Chérie ? Et si on passait le reste de notre interminable vie en vacances ici ? Chiche ! Dès lors s'engage une sorte de compétition entre le jeune couple et l'hiver, la question étant de savoir qui arrivera le premier, l'un avec le raccordement de la flotte à l'intérieur et l'étanchéité du toit ou l'autre avec sa première neige. Le drame est planté. In extremis le jeune homme arrive à bricoler son toit sans s'amputer la main ni passer à travers et même à tirer un tuyau d'arrosage entre une citerne extérieur et son évier. Puis on passe en mode Koh lanta et c'est stage survie tous les jours. On voudrait nous faire croire que ni les intéressés ni leur entourage n'étaient au courant que l'eau gèle à zéro degré, donc le tuyau, donc la citerne. À ce moment de l'histoire, cette eau gelée n'est pas la conséquence d'une réalité physique assez communément admise, elle nous est présentée comme un coup du sort. Qu'à cela ne tienne. Délaissant pour quelques kilomètres ses principes, madame prend la voiture pour aller à la ville remplir un jerrican de flotte à une fontaine. On s'achemine tranquillement vers la tragédie. L'électricité tombe malade, le bébé est en panne, il fait à peine quinze autour du poêle.
Nous ne sommes pas les seuls à nous demander comment tout ça va finir puisque dans un brusque (mais bref) accès de réalité, alors que Lui a pris la voiture Elle se dit "Tiens, là, si j'avais une urgence pour le bébé, je ne sais pas du tout comment je ferais..." Stop. Stop parce qu'autant d'irresponsabilité, même aux couleurs de la jeunesse et de l'écologie militante, on a du mal à y croire. Stop aussi parce que les fins possible vers lesquelles nous entraîne l'histoire telle qu'on nous la raconte ne rentrent plus dans le concept. Au choix :
· ils finissent par se dévorer entre eux,
· ils mettent le feu à la cabane pour avoir chaud une dernière fois avant de se jeter dans les flammes,
· leurs parents viennent en quatre-quatre leur flanquer une fessée et rapatrier le bébé chez super Nanny...
Mais comme on est sur M6, à la télévision, dans le conte de fée permanent, faudrait voir à ce que tout ça se termine bien. Alors ? Epilogue - je n'invente rien, où serait alors l'intérêt de la démo ? - On nous dit que le couple et son bébé se sont tirés deux mois en Afrique.
Perso, dans la vraie vie, j'aime assez que vous et moi exercions notre droit de fuite. Hein ? Oui, surtout moi. Mais dans la fiction, ou à la télé (on aura compris que pour moi c'est la même chose ) quand les personnages s'échappent de l'histoire ou sortent de leur rôle, on obtient de l’étrange.
Les trois autres histoire suivent la même trame narrative. On part d'une situation originale, on enchaîne sur la folie douce, on verse dans la folie furieuse, puis on est sauvé par le gong du fait-divers tragique. Je vous narre la deux vite fait, la trois est pénible et la quatre grotesque.
La deuxième histoire tourne autour de la passion maniaque d'un quadra bien sous tous rapports, quoiqu'enseignant. On connaît les prédispositions de ce corps d'élite pour les pathologie mentales lourdes. La famille, composée d'un couple semble-t-il légitime et de ses trois filles, s'est portée acquéreur à bon prix d'un bien nécessitant d'important travaux de réfection intérieure. Un coup de masse en entraînant un autre, les voilà engagés dans des travaux à n'en plus finir auxquels monsieur sacrifie bientôt toutes ses soirées, ses nuits et ses vacances. Jusque là, on connaît la chanson. C'est celle des héros imbéciles trouvant leur accomplissement dans la satisfaction d'avoir tout fait eux-même, généralement de travers. J'en connais par coeur le refrain "Contrairement à mes cloisons, je ne me suis pas laissé abattre..." Mais là, folie douce, il semble que Monsieur se soit pris d'une véritable frénésie pour la finition du second oeuvre. Par un procédé d'inversion assez courant en littérature, il est habité par sa maison. On passe à la folie furieuse quand après PLUSIEURS ANNÉES de travaux, l'emménagement prévue en été est repoussé à la Toussaint, puis à Noël, puis à l'été d'après, peut-être, femme et enfants consacrant à leur tour toutes leurs vacances à poncer, enduire, carreler, sous les ordres d'un chef de famille devenu chef de chantier, donc tyrannique. Là, on attend qu'elles le démembrent à la disqueuse, ou qu'elles le coulent dans la chape de béton du garage... Mais stop. Le principal intéressé sort du scénar sur une scène surréaliste. Il a invité ses voisins, ses amis, sa famille pour une sorte de cérémonie au cours de laquelle il offre à chacun une petite composition florale et quelques mots affectueux. Qu'est ce que ça vient foutre là ? Rien. Rien qui serve l'histoire. C'est probablement la seule chose qu'ait trouvé notre personnage principal pour apparaître autrement qu’un Terminator fait main ayant une perceuse à la place du coeur.
Conclusion ? Bah, je ne sais pas trop. Constater encore une fois que ce n'est plus le peuple qui a le pouvoir mais le bon public ? Dénoncer encore une fois l'abus de faiblesse consistant à nous entretenir dans la douce illusion que la réalité n'est qu'une fiction parmi d'autres ? C'est en tout cas après avoir vu "Une maison a tout prix" que je me suis posé la question de savoir si le sentiment bizarre d'assister à un film le 11 septembre 2001, au moment des attentats contre le World Trade Center, n'était pas plus proche de la vérité que l'histoire officielle voulait bien nous le dire.
C'est vous dire s'il était tard.
Jimidi 15 mai 2010 - 12 août 2010