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1 mars 2012 4 01 /03 /mars /2012 00:11

 

 

 

 

Lettrine--O-ourobouros--Le-carnet-de-Jimidi.jpgui, bon, je le confesse humblement, mon projet était de grouper dans la même note Grégoire Lacroix, Éric Chevillard et AppAs. J’ai même envisagé un moment de rassembler ces trois auteurs écrivant court sous le titre « En bref » mais d’enchaîner sur un article te demandant une demie heure de lecture et trois ou quatre défilements d’écran. Puis je me suis dégonflé.

 

Le carnet d’Éric Chevillard présente d’emblée plusieurs caractéristiques singulières. La première, c’est le règne sans partage du texte. Aucun risque d’arriver chez lui à la suite d’une recherche avec Google images : y’en a pas. La deuxième, c’est ce découpage systématique de chaque note en trois parties, autonomes ou non. S’agit-il de respecter un nombre de caractères imposé ? D’une coquetterie ? D’une habitude ancrée à force de partager des tartes aux pommes ? D’une mystique du triangle ? D’un hommage subliminal au tiers livre de François Bon ? On ne sait.  Mais la caractéristique massive des textes d’Éric Chevillard, comme tu vas pouvoir le constater, c’est leur efficacité, à laquelle leur taille S vient plutôt en renfort.

 

J’ai pioché les extraits qui suivent au petit bonheur - c’est bien le mot qui convient - selon les sujets abordés, certains faisant écho à des notes de cet ici-carnet, mais le plus souvent à la suite de cet éblouissement ressenti quand les mots lus opèrent cette magie d’être à la fois le contenant et le contenu d’une vérité poétique, cruelle, drôle, tendre, familiale ou intime et souvent chez Éric Chevillard, tout ça à la fois. En quelques lignes touchant toujours juste. Chapeau !

 

Tu auras compris, j’espère, que chaque numéro d’ordre renvoit sur « L’autofictif » à la note originale.


 

1505

(...) 

 

Le livre dans la liseuse électronique n’existe que le temps de la lecture, puis il disparaît, comme effacé, ou siphonné. Nous fréquentions aussi l’objet, jadis (et naguère encore). C’était une présence physique, avec ses caractéristiques familières, une compagnie. Certains volumes étaient de vrais crampons, certes, des incrustés, des parasites, mais d’autres nous accompagnaient comme des fétiches, de déménagement en déménagement. Ils partageaient notre vie. Sans vouloir blesser ces purs esprits, nous les aimions aussi pour leur physique… Leur contenu était associé à leur aspect dans notre mémoire oublieuse et il nous suffisait d’en regarder certains sans même les ouvrir pour très exactement et en un éclair les relire. Voilà tout de même une chose irremplaçable qui va se perdre si la tablette absorbe la bibliothèque.

 

(...)

 


1496

Dans la lueur de brasero de la veilleuse, avec la plainte de coyote du vent dans le conduit de la cheminée, le tipi d’Agathe, au centre de sa chambre, devient un vrai campement de Sioux. Et tandis que je m’assois à son chevet pour lui raconter une histoire, au lieu de Cendrillon, me viennent de vieilles légendes de la plaine que je ne savais pas connaître. Puis j’embrasse Petite Plume et je sors fumer mon calumet.

 

 Le K est l’élastique qui donne au kangourou l’impulsion de son saut formidable. Le langourou, par exemple, n’irait pas si loin.

 

(...)

 

1495

Au cinéma, je ne me place jamais au centre de la salle, toujours un peu de biais par rapport à l’écran – sinon ce n’est pas du cinéma mais la réalité, encore et toujours en face. Pour une fois qu’il est possible d’un peu se décaler.

 

(...)


1494

Sosie troublant d’une comédienne au sommet de sa gloire, elle se demande avec amertume, en se penchant pour ramasser les morceaux de son bol, pourquoi soudain cesse la ressemblance.

 

(...)

 


1491

(...)  

 

comme ça tu visses comme ça

tu dévisses oh serai-je

toujours novice

  

Il passa son existence enfermé chez lui à lire des romans à suspense, des thrillers haletants, puis SOUDAIN… la mort survint.

 


1487

Mon âme se languissait de mon corps. Chose étrange car, de mon vivant, leurs rapports avaient été plutôt tendus, voire conflictuels. Mais enfin, là, dans ce paradis émollient, il faut croire qu’elle éprouvait la nostalgie de ces combats intérieurs, de ces luttes intestines. Je ne m’attarderai pas sur les démarches infinies qu’il lui fallut entreprendre afin d’obtenir des plus hautes Instances la permission de descendre sur terre, et même sous terre, pour cette inhabituelle visite. Finalement, l’autorisation lui fut accordée.

 

Ce fut un jeu pour elle de traverser l’épaisse dalle de marbre du tombeau, un jeu si plaisant, si nouveau, si innocent, qu’elle fit deux ou trois allers-retours pour en jouir. Puis elle se coula tout aussi aisément sous le couvercle du cercueil.

  

Certes, j’avais changé. Mon corps était nettement moins glorieux qu’au temps où, sans menacer aucun record, il accomplissait en tout domaine de très honorables performances. Et mon visage aux traits jadis suffisamment harmonieux pour ne pas s’attirer de grimaces n’était plus qu’un masque de cuir sec collé à l’os. Malgré quoi, mon âme entra dans le cadavre et s’y sentit aussitôt chez elle. Cette séparation forcée avait été de toute évidence bénéfique pour leur relation, désormais sereine et sans disputes. Peu probable – j’en informe ici les plus hautes Instances – que mon âme ayant repris ses aises remonte jamais au Ciel.

 


1348

Puis je fus las de mon désir banal pour les longues jambes fines et galbées, les fesses fermes, les seins ronds. Étais-je si commun ? Un corps mu par ses seuls instincts, si prévisibles ? Soudain, je me rebellai. Il devait être possible pourtant de dompter le désir, de proposer d’autres objets à sa satisfaction. Après tout, si le ragondin trouvait du charme à la ragondine, il fallait bien qu’elle n’en fût pas tout à fait dépourvue.

 

Je m’appliquai à le chercher. Et peu à peu, en effet, il se découvrit à moi. J’y fus sensible. J’aimai la souple ondulation du flanc de la ragondine ; sa toison rêche m’électrisait. Et ses longues incisives orange promettaient des mordillements dont la seule évocation mettait ma chair en émoi.

 

Je connus alors la période la plus sombre de mon existence, des années de frustration amère, de continence forcée, de passions univoques. Car je ne plais pas, mais alors pas du tout aux ragondines.

 


1350

Ils avaient toujours vécu en parfaite entente ; l’âge et les années n’y changèrent rien et le jour où l’homme perdit son dernier cheveu, le peigne perdit sa dernière dent.

 

(...)

 


1373

(...) 

 

À quoi peuvent bien servir tous ces ponts que je n’emprunterai jamais ? Ces hommes qu’il a fallu mobiliser, cette énergie, ces matériaux ! Et tout cela pour quoi ? Pour rien ! Parfois j’en rougis de honte.

 

(...)


 

1370

Comme je quittais hier matin la halte-garderie après y avoir déposé Suzie, je vis s’avancer à travers la cour d’un pas rapide, vêtu d’une sorte de treillis et armé d’un lance-flammes ou d’un bazooka, un de ces jeunes déséquilibrés qui s’introduisent dans les crèches ou les écoles pour y faire un carnage. De gros écouteurs sur ses oreilles complétaient sa panoplie de geek incapable de distinguer le bien du mal, le réel d’un jeu vidéo. Un monstre d’insensibilité et d’amoralisme, pur produit de notre société. L’horreur en marche.

 

Outre ma fille, une douzaine d’enfants se trouvaient à l’intérieur du bâtiment, sous la surveillance de trois ou quatre dames. Il y avait urgence. Pour éviter la tragédie, et quitte à y laisser ma peau, je devais intervenir, maintenant. Comment pourrais-je vivre avec le remords de n’avoir rien tenté ? Je me jetai sur l’individu.

 

Et les puéricultrices eurent toutes les peines du monde à me ceinturer tandis que j’enfonçais dans la gorge de ce malheureux cantonnier municipal le canon de son souffleur de feuilles.


 

1376

Sauf que le mister Hyde en nous tapi est le plus souvent un petit monstre de mesquinerie sans aucun relief et plus banal encore que notre personnage officiel prisonnier de ses routines, lequel se donne un peu de mystère en laissant supposer qu’il cache dans les replis de son âme une créature du diable d’une absolue noirceur. Tout notre effort consistera donc à ne jamais lâcher en public ce gnome inoffensif et ridicule.

 

(...)

 


1383

(...)  

   

Le gâchis est partout, le gaspillage, la dilapidation insensée des ressources et des énergies. Et je ne parle même pas du pétrole, de l’électricité ou des hydrocarbures. Mais prenez l’allumette : elle a un bout qui ne sert à rien.

 


1381

Pardon, mais là…

 

je dois y aller…

 

Suzie pleure.

 

 

Pour aller moins loin : L’article de Wikipedia sur É.C.

 

 

 

 


commentaires

R
<br /> "Sosie troublant d’une comédienne au<br /> sommet de sa gloire, elle se demande avec amertume, en se penchant pour ramasser les morceaux de son bol, pourquoi soudain cesse la ressemblance."...<br /> <br /> <br /> deux hypothèses...  c'est parce qu'elle  n''a plus son reflet à<br /> l'intérieur  du bol...<br /> <br /> <br /> Soit parce qu'ayant cassé son bol "sept ans de malheur!"...  à défaut de<br /> rire aux  éclats  (de son bol..)  elle  éclate de pire...en se découvrant Sosie-taire  ( ça  c'est pas  d'bol)...<br />
Répondre
J
<br /> <br /> C'est une hypothèse. C'est de toute façon "pas de bol", mais perso, j'avais compris que la ressemblance n'était que physique...<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Je ne me souviens pas de vous l'avoir envoyé pourtant ?!<br />
Répondre
J
<br /> <br /> Bon, ben il devait s'agir de votre alter ego, ou du sien, voire même du mien...<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> J'ai lu Palafox il y a longtemps. Bon souvenir...<br />
Répondre
J
<br /> <br /> Ah ah ! Il va falloir que je m'y mette alors !<br /> <br /> <br /> <br />
M
<br /> Excellent !<br />
Répondre
J
<br /> <br /> Oui hein ? C'est une amie à moi qui m'a filé le tuyau.<br /> <br /> <br /> <br />
T
<br /> Bonjour,<br /> <br /> <br /> Je ne connaissais pas Mr Chevillard sous ce jour. C'est un vrai plaisir. Bonne journée d'auto fiction.<br /> <br /> <br /> @+<br />
Répondre
J
<br /> <br /> Hé hé  ! Mais sous quel jour le connaissais-tu donc ? Romancier ? (il a publié 15 romans)<br /> <br /> <br /> <br />
A
<br /> Tu m'as placé en brillante compagnie. Voici qui me touche. Gros bisous.<br />
Répondre

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