l y a des titres qui s’imposent. Je ne vois pas comment j’aurais pu résister au clin d’oeil m’invitant à écrire « Auto Édition » pour un livre faisant une telle part à la bagnole. En fermant le ban du recueil, cette nouvelle se trouve à sa place naturelle puisque je l’ai écrite en dernier. De même que son titre s’imposait, l’idée d’un livre un peu magique s’écrivant tout seul est apparue assez vite. Sans doute faut-il voir là le fantasme d’un auteur un peu fainéant, rêvant d’une écriture débarrassée de son labeur et de sa peine. Ce doit être un fantasme assez universellement partagé par les auteurs. Je le vois également à l’oeuvre par exemple dans les générateurs de texte de Jean-Pierre Balpe, réussissant à produire grâce à l’ordinateur, la prose poétique de très convaincantes balades lozérienne, ou des pages inédites de Flaubert qui sont, parait-il, à s’y méprendre. C’est également le rôle des « nègres », ces écrivains fantôme rédigeant anonymement pour d’autres et j’imagine facilement le plaisir étrange que ça doit être de lire un texte de soi qu’on n’a pas écrit.
Il est également vraisemblable que ce fantasme d’écriture automatique, produite en dehors de soi mais dont on peu s’attribuer à bon compte le bénéfice, participe de la plupart des nombreuses aventures d’écriture collaboratives auxquelles je me suis associé. A ceci près qu’alors, le bénéfice de l’oeuvre était partagé à égalité par tous ses auteurs. C’était d’autant plus facile qu’il s’agit là d’un bénéfice entièrement moral, tout ça n’ayant jamais rien rapporté financièrement.
D’ailleurs, « Routes enlacées » était au départ un projet d’écriture collaborative, dont j’ai pris le départ, pour m’apercevoir ensuite, en jetant un oeil par dessus mon épaule, qu’il n’y avait plus personne derrière. Pas grave. Ça m’aura au moins rassuré sur mes capacités d’écrire seul.
Pour « Auto Édition », j’avais donc un titre, l’idée d’un livre s’écrivant seul, le pas n’était plus très grand à franchir pour que ce livre soit le recueil « Routes enlacées » lui-même. Quatre des dix-sept autres nouvelles sont plus particulièrement évoquées dans la dix-huitième. Ça commence par « Auto-stop ». Georges, le narrateur, chauffeur de taxi, lit semble-t-il ce récit dans une première version dans laquelle les portraits des personnages principaux ne figurent pas, mais son imagination permettra d’aboutir à la version présente dans le recueil, d’ailleurs largement citée, dans laquelle on sait que le personnage féminin est une brune aux yeux clair. Georges lit également « Le petit chameau », dans la version présente dans le recueil, mais s’il regrette que les membres de la petite famille dont il est question ne soit pas décrits (décidément, c’est son truc) sa lecture n’ajoute rien. On constatera en lisant la version présente dans le recueil, que la famille n’est effectivement pas décrite dans le détail. Tu dis ? Dans le tiens elle l’est ? Ah, ah, très drôle ! Puis Georges lit « À fond la caisse » et constatant encore une fois qu’on ne sait pas grand chose de la narratrice, même pas son prénom, il la baptise « Corinne » et finit par lire une version de la nouvelle, réécrite à la troisième personne, dans laquelle le personnage principal s’appelle effectivement Corinne. Dix-neuf lignes de cette version sont citées, mais ce n’est pas la version présente dans le recueil. Puis Georges tente l’expérience de laisser ce livre s’écrivant tout seul dans la voiture d’un pote dont le fils est mort sur la route, ce qui permettra au livre de s’ajouter les pages d’« Accident », dont les onze premières lignes sont citées intégralement, dans la version présente dans le recueil.
Et là, j’ai un regret. Ça aurait été marrant de citer la première version de cette nouvelle, plutôt que la seconde ; on sait que je l’ai écrite deux fois. J’y ai renoncé à l’époque, sans doute pour décharger Georges (et moi) de devoir expliquer pourquoi ces deux versions étaient différentes, mais finalement, je me demande si cette différence n’aurait pas accrédité l’idée, auprès des lecteurs du recueil, que celui-ci étaient toujours en train de s’écrire... Bah, j’y penserai pour une éventuelle réédition...
Voilà fini le tour des dix-huit nouvelles de « Routes enlacées », toujours disponible chez ÉLP dans sa version numérique, au prix ahurissant de quatre euros quatre vingt dix neuf, ce qui rend incompréhensible que tu n’en aies pas encore acheté un pour chacun de tes cent cinquante amis Facebook. Non, parce que tu comprends, j’aimerais bien aller aux Bahamas, ou à défaut, en Corse (c’est d’ailleurs prévu), mais autrement qu’en pelletant du charbon en salle des machine. Je ne voudrais pas avoir l’air de me la jouer, mais avec l’à valoir de Gallimard pour «Zones d’ombre », je m’étais acheté un bateau. Tu dis ? Avec des rames ? Faux : des pagaies.