i votre meilleure moitié passe à l’attaque dès votre retour du boulot en lançant quelque chose comme : Aaaaah ! Enfin te voilà mon amour. Non, parce que j’ai commencé de changer le robinet de l’évier, tu sais, celui qu’on a acheté samedi, tu sais, on en avait parlé... » FUYEZ pendant qu’il est encore temps. Prétextez une migraine, une réunion en nocturne, votre décès, trouvez n’importe quel raison de ne pas répondre :
— Tu as commencé... C’est à dire ?
— J’ai sorti le robinet neuf de son emballage.
Là, il est sans doute déjà trop tard. Vous vous dites que, hop, ce sera fait, que c’est vrai, ce vieux robinet moche qui fuit quand on l’ouvre et qui fuit quand on le ferme à fond, basta. Vous vous projetez déjà dans une séquence « intervention d’urgence + outils » vous reviennent des plans larges de salle d’opération, de petit personnel aux ordres passant les instruments. Changer un robinet ne doit pas être bien compliqué : même les plombiers y parviennent. Vous avez peut-être même poussé votre formation pro jusqu’à regarder une vidéo sur le net, alors...
Alors je vous avais pourtant prévenu : fallait pas.
Le robinet que vous devez enlever va vous faire chier. Il est là depuis trente ans et ne va certainement pas céder à votre première tentative. D’ailleurs, il s’est mis d’accord avec les clés plates : la 12 sera trop petite, la 14 trop grande et la 13 pas encore revenue des Bahamas où elle coule des jours heureux, où « écrou » n’a pas d’équivalent dans l’idiome local, où la seule chose utile à dire est : « piña colada. La traitresse doit être en compagnie de la clé de 22, qui vous manquera un peu plus tard.
Les raccords entre les nouveaux flexibles (maintenant, la plomberie est flexible, tout est flexible ) et la tuyauterie de cuivre vont vous faire chier. Votre plomberie date des romains, c’est pas les mêmes diamètres, pas les mêmes matériaux, pas les mêmes standards, pas le même siècle, pas la même langue, pas le même monde. Vous ne pensiez quand même pas que le progrès, le vrai, celui qui fait rage, allait s’arrêter à la porte de votre meuble sous évier ? Là, peut vous venir l’idée de tout assembler au chatterton, parce que vous commencez a en avoir raz la bonde d’être plié en quatre, essayant de rentrer l’essentiel de votre personne dans le chiche espace compris entre les produit d’entretien, le siphon de l’évier et d’autres bouteilles de plus en plus tentante pour en finir : Grand Marnier, déboucheur liquide, engrais. Je vous assure que cette idée de ruban adhésif est votre deuxième plus mauvaise idée de la soirée. Ça va vous donner l’impression de tenir à peu près mais dès que vous aller remettre votre circuit d’eau en pression, tout va vous péter à la figure. Il vaut bien mieux envoyer quelqu’un munie de consignes précises au magasin de bricolage. Y aller vous-même ? Ça va pas non ? Si après ça foire, ça va être de votre faute ! Il est assez vraisemblable que vous puissiez disposer assez vite de l’adaptateur ad hoc, romain d’un côté, HLM de l’autre, mais de grâce, pensez aux JOINTS, ça vous évitera de devoir les tailler dans une vieille chambre à air de vélo.
Tout ça va vous prendre des heures. Vous n’aurez pas assez de jurons pour aller jusqu’au bout. Vous allez en sortir complètement crevé, et la satisfaction de disposer d’un robinet neuf sensiblement aussi moche que l’ancien comptera peu. C’est bien fait pour vous. Pour la plomberie comme pour beaucoup de trucs finalement, il faut rester à l’écoute de la petite voix de la raison, celle qui vous susurre : « Ne commencez jamais. »