omme seul critique connu de littérature de boîte aux lettres, je ne pouvais passer à côté du dernier catalogue « Vitrine magique » dont le pèle-pommes de couverture parait adresser un clin d’oeil complice aux chroniques qui lui ont déjà été consacrées. Tiens ? Je me demande où elles sont celles-là...
Nous l’avons déjà vu avec Quelle : tous les catalogues racontent une histoire. Celle de vitrine magique pourrait s’intituler : « L’art d’être grand-mère ».
Mais avant de plonger dans les quarante huit pages hélas imprimées sur un papier de fort méchante qualité, il me faut te reboucher les fissures avec une notion théorique sans laquelle tu risquerais de passer à côté de la vraie profondeur de ces pages et n’y voir - ce serait ballot - qu’une litanie de gadgets alignés au départ de la grande course au superflu. Or nous demandons aux objets bien plus que prévu dans leur mode d’emploi, bien plus que la somme de leurs qualités matérielles. Nous leur accordons des valeurs plus nombreuses, plus essentielles que leur seule valeur d’usage. On serait sinon tous habillé chez Tati, meublés chez Ikea et roulés en Twingo. Je crois donc qu’on peut, sans grand risque de se tromper, en partant des objets, passer par l’emballage littéraire des argumentaires, remonter jusqu’au personnage principal de l’histoire racontée par Vitrine magique et même distinguer sa lectrice.
Car c’est une femme.
Tiens, le plat à oeufs de la page 4, par exemple : « Oeufs bien présentés et conservés ! » Elle atteint l’âge auquel les femmes savent devoir moins compter sur leurs charmes naturels que sur leur présentation, cet âge où l’on dit : « Elle est bien conservée. » Notre lectrice trouvera donc dans ce plat à oeuf à la fois un écho de ses propres préoccupations, un allier sûr dans ses efforts pour encore intéresser quelqu’un - fusse d’autres femmes poussées à l’intérieur comme elle et finalement un peu de baume sur son angoisse de décrépitude. Car maintenant vous l’avez bien compris, ce qui est demandé au plat à oeufs avec couvercle, quatre euros dix neuf grâce à l’offre bienvenue, ce n’est pas d’accueillir dix-huit oeufs mimosa. D’ailleurs qui peut bien avoir l’usage de dix-huit oeufs mimosa préparés d’avance ? Ou alors une fois dans le siècle, peut-être... Ce qui est demandé à cet objet, comme à la plupart des autres objets de ce catalogue, c’est d’accueillir - ici dans dix huit alvéoles - les questions existentielles que nous ne voulons pas formuler à voix haute, puis de répondre que tout va bien et de mettre un couvercle là-dessus. Étanche.
Les protections de gazinière de la page 19 en bas à gauche sont également intéressantes : « Une gazinière toujours impeccable ! Réutilisables, ces 4 protections sont ultra-résistantes et anti-adhérentes. Fini le nettoyage fastidieux. En Icflon (sic)(mais ® quand même) Dim 27X27. Lavables d’un coup d’éponge. 9,99€ ». D’un point de vue strictement pratique, on ne voit pas bien l’intérêt de devoir laver quatre plaques siliconées plutôt que de passer directement un coup d’éponge sur l’émail. Mais en nous souvenant que le gadget est investi de certaines qualités que notre lectrice voudrait voir s’étendre à elle, on peut écrire un autre épisode de son histoire. Elle en bavé, donné, reçu, car la vie et les ans ne l’ont pas épargnée de leurs éclaboussures. Mais elle a résisté, laissant glisser les salissures et les emmerdes plutôt que d’en garder les traces indélébiles. Elle a su se protéger mais surtout, surtout, sous la surface et l’apparence, l’émail de son âme est restée immaculé, blanc et lisse comme au premier jour.
Une fois compris que les objets et leurs argumentaires ne parlent pas d’eux, mais de toi, tout devient beaucoup plus clair : les tendeurs de housse de table à repasser de la page trente deux parlent de lifting, les cinq presse-tubes pour utiliser jusqu’au bout les tubes de mayonnaise, dentifrice, parlent - page huit - d’une vie bien remplie vécue jusqu’au dernier souffle. Mais je ne vous cacherais pas que la baguette d’assemblage - page huit également - m’inquiète un peu à ton sujet. « Plus de miettes entre les meubles ! Elle s’insère entre deux meubles et présente un dessus lisse. En PVC blanc. 1,99€ » Je ne suis pas sûr que cet accessoire d’un prix heureusement modique soit suffisant pour éviter la question de savoir dans quel néant disparaît toute chose de toute éternité... Mais c’est toi qui voit.
Je ne vais pas vous faire tout le catalogue (la nuit n’y suffirait pas ) ni appuyer trop là où ça fait mal en suggérant que ces encombrant gadgets trouveront facilement leur place dans celle laissée vacante par le départ des enfants, d’autant que le pèle-pomme du début, décidément facétieux, m’invite d’un autre clin d’oeil a conclure cet article sur une note plutôt gaie. On chercherait inutilement quelle question tarabustante se trouve dévoilée d’un coup de manivelle sous la peau. La vraie fonction de cet objet n’est pas de peler les pommes. Personne n’a jamais eu besoin d’un truc aussi abracadabrant pour peler des pommes. Sa vraie fonction, nous la connaissons depuis toujours, nous avons demandé à d’innombrables objets de la remplir, des plus simples au plus compliqués. Nous le demandons encore à beaucoup d’entre eux et ce n’est certainement pas toi, en train de manipuler la souris tout en répondant au téléphone qui me contredira. Nous demandons au pèle-pommes ce que demande toute l’humanité de toute éternité, ce qui lui est aussi indispensable que manger, dormir et chambrer Mélanie (de Tours), ce à quoi nous passons notre temps en ayant l’air de faire autre chose : JOUER !