acrifiant à l’invitation de Christian, je suis allé lire et voir son article sur la journée des métiers d’arts, à Perpignan. Je ne sais pas si ce qui suit va répondre à la question sous-jacente à l’invitation (Si tu aimes les métiers d’art, passe sur mon blog), mais je n’ai rien vu là bas qui m’ait emballé. Il faut dire que les photos visent plus à rendre compte de l’ensemble de la manifestations et des stands qu’à mettre en lumière les pièces exposées. Mais même, je crois qu’il y a truc qui coince. Parce qu’il y a quelque chose de spirituel dans la quête de la beauté, et donc d’un peu désespérant, y compris pour le spectateur.
Je ne sais pas si tu te souviens du film « Rencontre du troisième type », mais on y voit Richard Dreyfuss, en proie à une obsession, dessinant frénétiquement une montagne et finissant par en construire un modèle réduit, pas si réduit que ça puisqu’elle occupe tout son living. Ce n’est pas le propos du film, mais d’une certaine façon, je crois que les artistes et de façon plus générale ceux d’entre nous engagés dans une quête, ressemblent à ce héros du film. Ils ont eu a un moment où à un autre eu une sorte de révélation ou d’intuition et n’ont de cesse, depuis, d’essayer de la matérialiser dans leurs réalisations.
Nous connaissons tous des « passionnés », dont nous ne savons pas trop s’il faut les envier ou les plaindre. Mais quelque soit l’objet de leur passion, ce qui frappe, c’est la débauche de temps et d’énergie investie. En d’autres temps, peut-être certains d’entre eux se seraient-ils vu accusés d’adorer le veau d’or et peut-être les autres se seraient laissés convaincre que Dieu étant l’objet ultime de leur quête, la foi les conduirait là où la beauté souhaitait qu’ils aillent. Nos églises sont chargées à bloc de cette escroquerie.
Je vois dans les réalisations des artisans d’art - et des artistes - quelque chose qui mélange l’alchimie, la spiritualité, l’insatiable quête du beau et de quelque mystère ultime, mais comme fourvoyées dans des objets.
Je m’étais intéressé pour écrire IO à ce que les psychologues appellent les phobies. J’en ai retenu que l’objet phobique - pour moi, les araignées - en ce qu’il incarne une peur précise, localisée, nous permet de gérer des angoisses beaucoup plus diffuses. C’est quand même beaucoup plus simple d’avoir peur d’un truc en particulier, n’apparaissant que de loin en loin, plutôt que d’être en permanence inquiété par le lendemain, le qu’en dira-t-on, l’image de soi, la marche du monde et j’en passe. Tu dis ? Ça revient à chercher ce qu’on a perdu dans le noir plutôt sous le lampadaire, parce que là au moins, il y a de la lumière ? Voilà. On est un peu dans « l’auto-escroquerie », mais pratique.
Mais du coup, je me demande si la quête artistique n’est pas régie par un mécanisme finalement assez semblable, à ceci près qu’elle provoque une attirance plutôt qu’une répulsion envers certains « objets ». Je mets ce mot entre guillemets puisqu’il faudrait parler forme, couleur, matière, etc. ou de « cet obscur objet de la passion » pour parodier le titre de l’ultime film de Buñuel. Bref, je me demande si parfois, nos réalisations ne sont pas un moyen un peu paresseux, ou désespéré, d’échapper aux incessants tourments de la beauté.
J’ai des raisons précises de mettre en illustration de cet article un détail de « Prison », une vieillerie réalisée par mes soins, mais ce sera pour la suite de cet article.
Que voilà :
D’un autre côté, enchaîna-t-il en suspectant une étymologie voisine aux mots « métier » et « matière », le savoir-faire et le matériel sont souvent tout ce que nous avons à portée de main pour tenter d’accéder à la transcendance - pour utiliser un mot difficile à garer en créneau dans un blog - du moins pour ceux d’entre nous pas encore prêts à verser dans la prière contemplative ou la méditation tantrique.
Surtout quand la « révélation » le déclic, le choc esthétique emprunte les voies du matériel. On a les chemins de Damas qu’on peut. Perso, dans les années soixante dix, je ne sais plus exactement quand, mais c’était un mardi, en soulevant l’écorce d’un vieux tronc pourri, j’ai découvert entre l’aubier et le bois, tout un réseau de veines, une dentelle détachable de vaisseaux ayant probablement organisé la circulation de la sève dans cet espace à deux dimensions. Attention, je ne te parle pas de galeries d’insectes xylophages, non, mais d’un réseau en relief, d’un système artériel dont je n’ai jamais retrouvé l’exact équivalent, même si, de dessus, les bassins hydrauliques des grands cours d’eau empruntent certaines de ces formes pour leur delta.
C’est peu dire que cette découverte inopinée a orienté durablement l’ensemble de mes travaux, du moins ceux en « art plastique ». Dès lors, du réseau, j’en ai mis partout, comme en témoigne « Prison ». Pour autant, je n’ai jamais retrouvé, ni réussi à reproduire exactement l’organisation de ce « réseau premier », dont les contraintes, la nécessité, la part de hasard, restent pour moi des mystères approchés sans les avoir percés complètement.
Je crois qu’on peut être durablement imprégné, parfois toute une vie, par cette impression qu’un moment, un coin du voile s’est soulevé sur l’essentiel, sur l’authenticité nue de la matière, sur l’organisation mystérieuse de la nature, sur la beauté complexe ou simple, sur la vérité... barre les mentions inutiles. Irrépressiblement séduits, nous pouvons alors être tentés de vouloir soulever tout le voile, à coup de scie, de pinceaux, d’appareils photo, de mots, mais ce qu’on montre au final, c’est un mélange d’ambitions et de renoncements. Disons, pour y revenir et finir là dessus, que j’ai peut-être vu à Perpignan plus de facilité que d’exigence.