on, je ne vais pas recopier tout le recueil, non plus ! Mais peut être ces deux extraits vous donneront-ils, à votre tour, le désir de plonger dans la poésie d’Al Berto, qui manque à la culture de certains, m'a-t-on dit... Petit rappel de contexte : perso, j’ai découvert ce texte, et son auteur, au festival « Nuits de rêve » l’été dernier, dans une mise en scène tarte, mais dit en voix off par je ne sais pas qui doué d’un accent brésilien savoureux.
Si j’ai bien compris, le texte que je cherchais s’appelle « Salsugem », littéralement « salure », mais le mot évoque ici pour l’auteur, selon la note du traducteur, l’ensemble des débris organiques et d’épaves que charrient les marées ; « limons » flottants entre deux eaux, chargé d’algues, d’animaux morts, de vieux bois, de fragments d’os et de coquilles, que les vagues brassent, emportent et rejettent sur la grève. Ma version, française, traduite du portugais par Michel Chandeigne & Ariane Wikowski, fait précéder le titre de « VARECHS » et sans doute s’agit-il là d’une tentative de traduction. Mais « Salsugem » est également le titre du recueil, qui contient en outre :
- Douze demeures de silence
- Quinta de Santa Catarina
- Cinq photographies pour Alexandre de Macédoine
- Tu étais encore jeune
- Varechs/Salsugem
- L’oubli dans le Yacatan
- Paulo Nozolino / 4 visions Two friends & une passion
- Rumeur des feux
Soit 91 pages pour 15 €, publié par L’Escampette. Alors, alors... Les extraits :
2.
il voulait être marin courir le monde
en suivant la route des oiseaux côtiers les mains ouvertes
les lèvres écorchées par la vision des voyages
il aurait emporté dans ses bagages la chanson somnolente des vents
et l'attente sans fin du pays effrayé par les eaux
il s'est penché de l'autre côté du miroir
où le corps devient diaphane jusqu'aux os
la nuit lui a rendu un autre corps qui navigue
dans l'abandon d'un secret retour... ensuite
il a conservé la passion des jours lointains dans le sac de toile
et du fond nostalgique du miroir
les yeux de la mer ont soudain surgi
des bulots grandissaient sur ses paupières des algues fines
des méduses lumineuses se mouvaient à portée de voix
et sa poitrine était l'immense plage
où les légendes et les chroniques avaient oublié
squelettes énigmatiques insectes et métaux précieux
un filet de semence nouait son cœur envahi par le varech
son corps se séparait de l'ombre millénaire
s'immobilisait dans le sommeil antique de la terre
descendait jusqu'à l'oubli de tout... naviguait
dans la rumeur des eaux oxydées s'accrochait à la racine des épées
allait de mât en mât scrutait l'insomnie
jetait des feux acides sur le visage incertain d'une mer
9.
il doit flotter comme une ville dans le crépuscule de la vie
pensais-je... où les femmes seraient heureuses
penchées près du rivage sur une lumière de chaux
rapiéçant le tissu des voiles... guettant la mer
et la longitude de l'amour embarqué
quelquefois
une mouette se poserait sur les flots
d'autres ce serait le soleil aveuglant
et une traînée de sang se répandrait sur le lin de la nuit
les jours très lents... sans personne
on ne m'a jamais dit le nom de cet océan
et j'ai attendu assise à ma porte ... bien avant j'écrivais des lettres
je me mettais à regarder la ligne bleue au fond de la rue
mais j'ai vieilli ainsi... croyant qu'un homme de passage
s'étonnerait de ma solitude
(des années plus tard, je me souviens maintenant, une perle avait
grossi dans mon cœur, mais je suis seule, très seule, je n'ai per-
sonne à qui la laisser.)
un Jour est venu
où je n'ai jamais plus aperçu de villes crépusculaires
et les navires ont cessé de faire escale à ma porte
je m'incline à nouveau sur la trame de ce siècle
je recommence à broder ou à dormir
peu m'importe
j'ai toujours douté que le bonheur vienne un jour me visiter
(ces lignes sont les quasi dernières du recueil) (...)
suspendu dans la hauteur opaque des huniers... je voyage
pour vivre là où les signes de vie ne blessent pas
là où les oiseaux sont des augures de bonheur
flottant là où se déverse le plancton nocturne
par la bouche lumineuse des galaxies