Pour l’avoir déjà dit souvent, je peux le répéter ici encore une fois : je lis tout ce qui m’arrive, quelque soit la provenance et le contenu. Les sources sont assez diverses. Classiques : je lis ce qu’on me prête, ce qu’on me donne, ce qui tombe de ma bibliothèque quand je passe trop près, ce qu’on me recommande. Inévitables : je lis le contenu de mes boîtes aux lettres, celle à mon nom en bas de l’immeuble, régulièrement envahie de publicités que je feuillette scrupuleusement, de quittances, relevés de compte, informations administratives diverses que j’empile non moins scrupuleusement, plus rarement de cartes postales de Coline (elle revient du Brésil ) et de Laure (elle est passé par ici et repassera par là ) mais également des journaux et revues auxquels on est abonnés ; idem pour les boîtes-au-lettres électroniques, la perso principale, la perso professionnelle, chacune apportant sa moisson quotidienne de messages des proches, des collègues, auxquels je réponds, toujours scrupuleusement. Bizarres : Non mais y’a des trucs dont je me demande vraiment comment j’en suis destinataires. Les numéros de M le magazine du Monde, je vois : Simone les reçoit avec son abonnement au quotidien et elle me les mets de côté. Mais pourquoi reçoit-elle « Moselle-info », le magazine du Conseil Général de Moselle (où elle n'a jamais mis les pieds) et pourquoi le glisse-t-elle dans la pile à mon intention ? Mystère. Il est vrai que ma brune est originaire de Moselle. Elle est née dans un endroit dont le nom ressemble à une vaine tentative de se débarrasser d'une arrête coincée dans la gorge. Mais comme par ailleurs, elle ne lit rien, qui se tape la prose officielle du Conseil Général de Moselle ? C’est bibi.
Loin de moi l’idée de me plaindre : j’adore la prose officielle, surtout celle destinée à rendre compte, en photos d’inaugurations et style enthousiaste, du travail des élus à leurs mandants. Je garde un souvenir hilare d’une certaine « Lettre de votre député », dans laquelle on ne comptait pas moins de 54 photos lui l’élu, en situation. D’ailleurs c’est simple : il était sur toutes les photos sauf quatre. Si avec ça, tu n’avais pas compris qu’il était partout et que non, son cumul de mandats ne l’empêchait pas du tout de serrer des mains et couper des rubans sur le terrain, c’est que tu étais dans l’opposition.
Moselle-info sacrifie bien sûr aux impératifs d’une communication bien comprise, dont le premier ressort est d’avoir l’air de parler d’un truc – dont tout le monde se fout éperdument – pour te perfuser un autre truc : le vrai message. On peut en général réduire ce discours ultime à un ordre : « Achetez ! » pour la publicité commerciale et « Votez pour nous » pour la publicité politique. Mais puisqu’il faut te l’emballer, autant que l’emballage soit beau et dans Moselle-info, rien n’est trop beau pour tenter de te sortir de cette vallée de larmes que tu oses appeler ta vie. Rien n’est trop beau pour entretenir ton espoir d’accéder à la béatitude du gavage, dans une Moselle impeccablement meublée de collèges réhabilités, inaugurés sous des cieux bleus et radieux. Rien n’est trop beau pour te conforter dans l’idée que vraiment, la Moselle, terre de contrastes et de traditions, c’est à peine moins désirable que Wallis et Futuna. J’ai l’ai de me moquer ? Pas du tout. Je comprends parfaitement les obligations de cette littérature imprimée sur de la bonne vieille langue de bois et c’est justement ce qui en fait l’intérêt. Par ailleurs, je ne doute pas un seul instant que les élus de Moselle se démènent bel et bien et font tout ce qu’il peuvent. Enfin, si j’étais abonné à Seine-et-Oise-info, je ne doute pas que le style et le contenu soient les mêmes.
Alors ?
Alors, quand je lis ce qui suit, dans Moselle-info donc, je me dis que tout passer au Ripolin rose, ou bleu, ça a quand même ses limites :
Nouvelle ligne de production à PSA Trémery
Une décision économique majeure pour la Moselle
L’usine PSA Peugeot Citroën de Trémery s’est vu confier la fabrication de 200 000 moteurs essence par an. Une décision capitale pour le site, activement soutenue par le Département.
Le groupe PSA Peugeot Citroën vient d’attribuer à son usine de Trémery la production annuelle de 200 000 moteurs trois cylindres essence turbo à partir de 2018. Une excellente nouvelle pour le département - la marque au lion est le premier employeur privé de Moselle avec 3 500 salariés à Trémery et 1 500 à Metz-Borny – et pour la pérennité du site. Actuellement, 82 % de la production (1,6 million de moteurs en 2014) sont tournés vers le diesel, une motorisation aujourd’hui remise en cause et dont les parts de marché diminuent. Cette diversification dans le moteur essence est donc une énorme opportunité pour le site de Trémery, qui était en compétition avec celui de Vigo, en Espagne. C’est François Hollande en personne qui est venu annoncer la bonne nouvelle le 27 mars. Parmi les atouts qui ont signé sa victoire : son savoir-faire et la persévérance des collectivités territoriales – Département, État, Région, Metz Métropole, Communauté de communes Rives de Moselle et Ville de Metz – qui ont mobilisé sur ce dossier leurs forces et différents leviers, dont environ 25 millions d’euros. À l’automne dernier, Patrick Weiten, Président du Conseil Départemental, avait même rencontré Carlos Tavares, P.D.-G. du groupe, pour lui faire part de sa détermination à accueillir à Trémery la nouvelle ligne de production. Toutes ces démarches ont finalement abouti au choix du site mosellan.
Et là, je coupe le son. Exit les flonflons, la Marseillaise (Le Président de la République était là en personne pour annoncer la nouvelle) et les hourra auto-satisfait, mais je te mets les sous-titres. Voilà ce que je lis, entre les lignes :
- À la suite d'un chantage à la délocalisation, la Moselle vient de se faire enfler de 25 millions d’euros par le groupe PSA.
- Les espagnols qui étaient en « compétition » (au-secours ! ) n’ont plus qu’à se les mordre. Il n’avaient qu’à trouver un peu plus de pots-de-vins officiels et légaux à mettre dans la balance.
- Si, par malchance, nos voisins pensaient être « compétitifs » grâce à leurs salaires de misère, voilà qui leur rappellera cruellement qu’Europe ou pas, monnaie unique ou pas, déclaration universelle des droits de l’homme ou pas, Liberté Égalité Fraternité ou pas, rien n’empêchera les grands groupes industriels d’organiser des bastons, sauvages, quand elles servent leurs intérêts.