Si, comme moi, tu vas lire Belette régulièrement, tu sais qu’elle a lancé un sondage sur la question de savoir qui lisait aux toilettes et pourquoi. (Oui, je mets des liens hypertexte super longs, parce que je me suis aperçu que sinon, tu ne cliquais pas.) Or, dans les commentaires, j’ai trouvé comme une âme sœur en la « personne » de La Renarde : Faute de mieux, elle lit les trucs écrits sur les produits d’entretien et d’hygiène dont ces lieux ne manquent jamais. Du coup, en hommage à La Belette et à La Renarde - tout ça commence à ressembler à une fable - j’exhume ces deux billets, consacrés au PQ et au déo de chiotte.
Ô cher auteur inconnu !
Ce matin, j’ai une pensée émue pour les auteurs anonymes ayant rédigé toute la littérature discrète qui nous entoure et dont nos objets quotidiens sont les supports patients et résignés.
Ainsi, il y a forcément eu quelqu’un pour écrire, je cite : « Papier de toilette très large, super doux et absorbant de QUALITÉ PREMIUM avec une structure 100% pure cellulose. Idéal pour les peaux sensibles avec ses quatre épaisseurs. Son grammage élevé assure un confort, une sécurité, une résistance et une hygiène parfaite. La largeur, la résistance (encore ? Il était dans le maquis ou quoi ?) sa douceur et l’absorption de ce papier en font un papier de toilette luxueux, économique et agréable à l’emploi. Idéal pour une hygiène quotidienne. » fin de citation.
Il ou elle a fait des études poussées, voire supérieures, l’université, une grande école… Il ou elle a dû prendre le premier travail qui s’offrait, pour garder sa vieille mère à la maison et la sauver encore quelques semaines du mouroir, ou alors pour se payer un premier avortement à l’étranger. Un petit boulot s’offrait dans cette usine de PQ, l’affaire fut conclue. Ne croyez pas que j’invente. Tout est là, dans le texte. Cet auteur, comme tous les auteurs, à chargé sa plume de lui dessiner un monde meilleur, un monde opposé mot à mot et point par point à son quotidien ordinaire. Pourquoi écrire sinon ? Et là, quand on lit bien, ça fait froid dans le dos. Très large ; donc il ou elle – mais on va dire il – est habillé trop petit ou étroitement logé. Il quitte chaque matin le placard que lui loue à prix d’or un infâme marchand de sommeil pour rejoindre après deux heures de transport dans un bus bondé le placard que lui réserve dans l’usine un infâme marchand de PQ. Super doux ; tu m’étonnes quand sa vie est si dure ! Absorbant ; en plus, il pleut là où il est. Il doit passer une partie de sa journée à dégouliner. Idéal pour les peaux sensibles ; comme si ça ne suffisait pas, il a de l’eczéma, ou de l’urticaire, ou pire, il fait une allergie à la cellulose. (…) assure un confort, une sécurité ; on mesure là l’étendue de sa précarité inconfortable et moite. Ce petit boulot de merde est tout ce qu’il a, c’est la pierre angulaire de toute sa vie actuelle, sans le PQ tout s’écroule. On comprend qu’il puisse rêver d’une situation plus sereine. Puis deux fois résistance et là, les larmes me viennent presque. Il se demande s’il ne va pas craquer. Ce n’est pas assez de l’environnement hostile, des innombrables circonstances extérieures qui pourraient provoquer sa chute, l'idée atroce lui vient, il est peut-être LUI MÊME le maillon faible. Peut-être a-t-il présumé de ses forces, de sa capacité à endurer le pire ? Alors vite, vite, deux fois résistance à sept mots d’intervalle. Douceur, de nouveau. Il pense à sa vieille mère restée seule au placard, qui n’aura pas trop de sa journée pour lui préparer quelques pauvres frites épluchées péniblement de ses main arthritiques dans des patates soldées et qu’elle cuira pour son retour dans de l’huile rance. Absorption ; encore. Décidément, il pleut beaucoup par là bas. (…) Luxueux, quand je vous disais qu’il rêvait d’absolu. Économique, oui parce qu’en plus, tout ça lui coûte un max : Le loyer du placard, l’abonnement du bus, les bottes en caoutchouc... (Tiens, c’est marrant ce mot : caoutchouc, caoutchouc ! ) Comme tous les travailleurs pauvres, il a l’impression de manquer de tout, mais que le strict nécessaire est quand même trop cher. Agréable à l’emploi ; nous y voilà. Je reconnais bien cette tentation ultime de l’auteur ayant démarré son rêve très haut, brusquement inquiet d’avoir imaginé un monde parfait mais sans la porte. Parce que ce n’est pas le tout de réver minutieusement le paradis, encore faut-il y avoir accès, qu’il n’y ait pas un panneau « déviation » sur sa route, ou un panonceau « complet » punaisé à l’entré. Mais notre auteur y a pensé. Il a eu tout le temps d’y penser dans ses deux fois deux heures de bus bondé dégoulinant. Il sait ce qu’il y a entre la gadoue de son quotidien et ce monde meilleur duquel toute humidité aurait été absorbée. Il ne rêve pas de gagner au loto, ce serait lâche. Quel mérite y aurait-il ? Non, son sésame il le connaît, c’est le TRAVAIL, et c’est cette prière qu’il adresse au ciel, c’est ce message qu’il lance anonymement sur l’emballage de mes rouleaux de PQ, comme l’appel au secours d’un prisonnier injustement détenu dans une cellule pleine de rats, d’araignée et de serpents portant des messages codés ouvrant les cadenas de boites contenant des indices pouvant s’auto-détruire. Le naufragé qu’il est, lance sur sa cellulose un SOS à la mer démontée du capitalisme mondial (Whaaaou !) confiant aux courants capricieux de la grande distribution le soin de… (Ouais, non mais c’est bon, n’en fais pas trop quand même ! - Putain, mais c’est malin, je sais plus où j’en étais maintenant ! - Le paradis, le sésame, le pauvre type coincé dans ses bottes en caout… en polychlorure de vinyle, tout ça… - Ah oui, c’est bon ! Dégage.) et c’est ce qu’il veut, ce qu’il souhaite : un emploi agréable.
Cher auteur anonyme n’ayant rien à dire ou presque, je suis content d’avoir échangé ma plume contre votre papier fort grammage quadruple épaisseur et j’ose espérer m’être ainsi fait pardonner de l’avoir utilisé pour l’usage ô combien trivial auquel me conviaient de façon impérieuse mes nécessités intérieures. On a celles qu’on peut.
On aura reconnu dans cette super production le papier toilette Floralys disponible chez Liddl en paquet de dix rouleaux, dont l’un des mérites est d’être sans chlore et 100% cellulose issue de forêts à gestion durable, comme si j’en avais quelque chose à foutre. Oui, bon, un peu quand même.
Un autre jour, si j'ai le temps, si vous faites pas trop chier, si j'ai rien de mieux à faire, je persévérerais dans le grandiose avec le très anonyme auteur de l'immortel "Apporte à votre intérieur un parfum et une fraîcheur agréable" de mon aérosol WC.
Toujours plus bas
Dans nos tentatives désespérantes pour essayer de toucher le fond de la littérature, pour tenter de trouver l’auteur ultime, celui auprès de qui tous les autres paraîtraient fertiles, nous avons mis la main, dans le grand verbiage de nos objets quotidiens, non loin de l’auteur anonyme des trois lignes d’argument publicitaire imprimés sur l’emballage de nos rouleaux de PQ, sur l’auteur du slogan de notre déo de chiotte : « Apporte à votre intérieur un parfum et une fraîcheur agréables. » Il ajoute non loin : « Le désodorisant W5 Greenwood rafraîchit l’air de votre intérieur. Profitez d’une atmosphère alpine grâce à son parfum de bois de résineux. » Le décor est planté, c’est le caca de le dire.
Vous aurez remarqué comme moi qu’on s’appuie à fond ici sur la fonction. C’était difficile s’agissant du PQ et l’auteur s’en était tiré, de justesse, après avoir tartiné sur la qualité du papier lui-même, par un « Idéal pour une hygiène quotidienne. » très vague finalement, qui laissait entendre qu’on pourrait utiliser son papier pour se démaquiller ou se moucher. Il est vrai que les variations stylistiques à partir de – se torcher le cul – paraissent moins faciles, et mériteraient un talent, ou un salaire qu’il n’avait peut-être pas. Mais notre propos n’est pas d’accabler ce pauvre homme dégoulinant de pluie dans ses bottes, coincé comme nous le savons pour deux heures de trajets quotidiens dans un bus bondé. Manquerait plus qu’il se flingue. L’auteur de notre déo de chiotte, lui, bénéficie d’emblée à la fois de la noble mission consistant à chasser les mauvaises odeurs et de l’espace infini qu’ouvre le parfum dans notre imaginaire. Il le sait et ne s’y trompe d’ailleurs pas, équilibrant son slogan en plaçant parfum d’un côté et fraîcheur de l’autre. Pour le premier, on voit. Nous l’avons déjà dit, un déo de chiotte, ça sert à masquer d’une forte odeur envahissante et fugace une puanteur gênante mais plus discrète. Le déo de chiotte, c’est à la fois un cosmétique et un uniforme d’atmosphère. (1) Ouais, mais parfum, ça fait pas trop rêver. « Apporte à votre intérieur un parfum agréable », on est sur la mauvaise pente du strictement utilitaire. On se rapproche dangereusement du sol, autrement dit du « masque temporairement vos odeurs de merde, de graillon et de baskets décédées ». On ne va PAS TARDER À S’ÉCRASER ALORS FAIT QUELQUE CHOSE, VITE !
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Fraîcheur
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Et hop, t’as vu la manœuvre ? On est reparti d’un mot en altitude. D’ailleurs bouge pas, je branche le pilote automatique : « Profitez d’une atmosphère alpine » et on a maintenant tout le temps de causer. Fraîcheur est bien utile – on vient d’éviter le crash dans la fosse à purin – mais bien intéressant comme mot. Il fait partie des mots complètement positifs, ces mots dont les lettres ont toutes été découpées dans l’enthousiasme d’un ruban de Möbius. Ces mots affichant en permanence un sourire figé, qui de ce fait ne disent plus grand-chose. D’ailleurs, en cherchant bien, nous n’en n’avons trouvé qu’une acception susceptible de fissurer cette béatitude imbécile : « Nous avons été accueillis fraîchement » et encore peut-on croire alors que nos hôtes avaient juste branché la clim. Le déo de chiotte ne fera pas descendre d’un dixième la température de vos toilettes surchauffées par les efforts intenses de vos sphincters et les trois quarts d’heures que vous venez de passer dans cet espace confiné - Chérie ! SORS DE LÀ ou je pisse dans le bouddha en céramique de ta mère ! – mais « fraîcheur » fera mieux. Avec sa copine la couleur verte (Greenwood), elle vous prémunira contre le rouge cuisant de la honte qui pourrait s’emparer de vous à l’idée que le passager suivant puisse être accueilli par vos odeurs de merde. « Ben dis donc ! Je sais pas ce que t’as bouffé hier, mais derrière toi, ça fouette ! » Ça n’arrivera pas. Rhhhh, rhhhh, deux pression sur la tête verte elle aussi du W5 Greenwood et toute trace de vous aura disparu. D’ailleurs vous n’étiez peut-être même pas là. Il semble que le précédent occupant ait été un massif montagneux couvert de résineux au feuillage vert persistant. Vous pouvez désormais sortir la tête haute, très haute même, puisqu’elle baigne désormais dans l’atmosphère. Vous n’êtes plus accroupi(e) mais redressé(e), vous réintégrez l’olympe.
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Deux mots me ravissent encore l’œil dans l’impeccable « Profitez d’une atmosphère alpine » de notre auteur anonyme. Profitez est décidément délicieux. Il procède de cette maximisation bien connue en publicité consistant à parer l’ordinaire des couleurs de l’extraordinaire, bref, à faire prendre des vessies pour des lanternes, mais profitez fait également appel au subterfuge, classique lui aussi, nous faisant miroiter un privilège individuel dans ce qui est, bien sûr, à disposition de tous puisqu’il suffit de l’acheter et de s’en servir. Nous sommes alors invités par l’auteur et son « profitez » à bien davantage que seulement fermer la porte sur deux bouffées de parfum de synthèse expulsées par du butane. Tout ça en un seul mot. Chapeau ! Il est néanmoins tout à fait déconseillé d’en "profiter" plus en vaporisant du Greenwood DES VOTRE ENTREE dans les toilettes ou pire PENDANT TOUTE LA DUREE DE VOTRE SEJOUR. Ça peut même être dangereux si j’en croit les précautions d’emploi que ces rabat-joie du service conformité ont cru bon de rajouter : « Tenir éloigné de sources inflammables. Ne pas fumer. Utiliser uniquement dans des endroits bien aérés. Ne pas inhaler l’aérosol. Lors de l’utilisation, formation possible de gaz/mélange d’air explosifs/inflammables. Ne pas vaporiser vers les yeux. En cas d’accident ou de malaise, consultez immédiatement un médecin (…) ou consulter le centre antipoison (…). » Autant dire que si vous aviez le malheur de vouloir en griller une petite clandestinement en ayant mangé des fayots la veille et que celui d’avant s’était shooté au Greenwood, on risque de ne retrouver que votre cratère.
Alpine, enfin, me fait jubiler. Il est ici d’un usage comportant un risque, mais courageusement pris par l’auteur et lâchement délaissé par le rédacteur italien, qui se la joue faux-cul et lui préfère « montagne » (Oui, c’est l’avantage des produits vendus chez les hard discounters : on peut en savourer la prose en plusieurs langues.) Le risque est culturel. Si vous ne savez pas que les Alpes sont un massif montagneux, c’est mort. De plus – mais on reconnaît bien là l’artiste, le vrai – l’auteur n’évoque pas les vallée encaissées industrielles et saccagées, ni probablement les cimes enneigées - même si son « fraîcheur » ne les exclut pas totalement comme horizon possible - il parle de ses Alpes à lui, de la vision qu’il en a, des forêts comprises entre 600 et 2000 mètres d’altitude, pas plus bas, guère plus haut. Il parie donc à la fois sur le bon niveau culturel de ses lecteurs et sur leur capacité à partager sa vision. Il fera de grandes choses. Il les a peut-être déjà faites. Je suis impatient de le retrouver sur mon baril de lessive ou mon paquet de céréale.
(1) Lire à ce propos « L’uniforme cosmétique » du même auteur.
— Tu as vraiment écrit un truc titré « L’uniforme cosmétique » ?
— Tu m’a bien regardé ? Qu’est ce que tu veux écrire sous un titre pareil ?
— Je sais pas moi, un développement sur : « Plus on se maquille, plus on s’éloigne de soi-même pour se rapprocher d’images sociales standardisées. »
— Non mais t’as vu où on est ? Tu veux qu’on nous jette des pierres ou quoi ?