(…) The realistic elements of the composition are filtered through a photographic image resulting in a highly technological reproduction. This image is then successfully translated, using the traditional techniques of oil painting on canvas, to a perfect image of reality.
Albemarle Galery à propos de Roberto Bernardi
la rubrique des bonnes habitudes à garder ici, on trouvera sur ce carnet comme, dans le précédent, des articles qu’on pourrait ranger dans la catégorie « Tout ce que Tonton (de Netkulture) aurait pu vous dire s’il était moins fainéant. Pardon : moins pressé. Je sais, je sais, c’est la brièveté et l’éclectisme de ses notes qui font le grand intérêt de Netkulture, mais son côté superficiel me fait parfois un peu soupirer - même si du coup, j’ai bien de la place pour creuser - quand à la mauvaise habitude consistant (trop souvent) à copier coller en guise d’accompagnement, les deux lignes et demi de texte de quelqu’un d’autre, disons le tout Net : ça m’exaspère. Tu dis ? Je l’ai déjà dit ? C’est vrai et j’avais ajouté que les qualités de Netkulture l’emportaient de toute façon très largement sur ses défauts, ce dont je reste persuadé.
Donc, Netkulture, dans son hier-note du 23 juillet 2010, nous invite à découvrir le travail de Roberto Bernardi, peintre, accompagnant trois petites repros de trois petits mots très empreints de cet étonnement qu’une brève recherche sur Google retrouve tel quel, copiée collée de blog en blog et qu’on pourrait formuler ainsi : On dirait des photos ! On peine à croire qu'il s'agit de toiles peintes !
Et tout le monde s’arrête là. Je trouve ça un peu paresseux, de réduire des œuvres au trouble qu’elles engendrent, au doute qui nous saisi quant à la technique les ayant engendrées, photographie ou peinture. Je n’ai rien contre la surprise et le doute, au contraire, ce sont de bonnes portes d’entrée, mais une fois poussée cette porte là, pourquoi ne pas aller voir un peu ce qu’il y a derrière ? Vous avez quand même bien cinq minutes, non ?
« On dirait une photo ! » La formule est une peu raccourcie, mais tout le monde perçoit bien l’idée, sous-jacente, selon laquelle la photographie, comme technologie, est ici convoquée comme offrant la meilleure référence sur la réalité objective. Si on développait (hi hi !) la formule on aurait alors quelque chose comme : « Ce qu’on voit parait aussi objectivement rendu qu’une photographie du même sujet, de la même composition. » Notez quand même, au passage, qu’une jolie photographie d’un coucher de soleil tout plein de nuages orangers sur une campagne sombrant délicatement dans la nuit attirerait inévitablement cette remarque : « On dirait un tableau ! » la peinture, à son tour convoquée comme art, paraissant dans cette circonstance offrir la meilleure référence en matière de représentation. Comme quoi…
« On dirait une photo ! » saute un peu vite sur la technique, oubliant au passage des trucs bien intéressants, parce qu’entre nous, s’agissant de la repro ouvrant cet article, on dirait surtout un évier plein de vaisselle non ? C’est quand même un peu embêtant, de faire ainsi l’impasse sur le sujet. Comme s’il était indifférent qu’on nous montre un évier, une coupe de fruit ou des bocaux de friandises, pour rester dans les sujets traités par Roberto Bernardi, leur seul intérêt étant alors de ressembler point par point au modèle… Or il apparaît assez vite, pour qui prend la peine de remonter aux sources d’inspiration du peintre, tel qu’en témoigne la succession chronologique de ses toiles, qu’il n’a pas peint des éviers toute sa vie. Y’a deux fils rouges, qui paraissent tenir assez bon pour qu’on s’y cramponne : la matière et, justement, les sujets.
Concernant la matière et son rendu pictographique, il est clair que Roberto Bernardi est arrivé à une virtuosité bien intéressante. Certaines œuvres témoignent d’une recherche assez acharnée en ce sens. Je ne vous les ai pas mises ici, mais plusieurs de ses natures mortes ne semblent avoir été composées qu’avec l’intention de rassembler en un minimum d’espace des matières variées : liquides colorés, matières organiques ou minérales, brillantes ou mat, transparentes ou non, offrants beaucoup d’aspects de surface différents, alignés comme autant de défis, d’obstacles à franchir pour le peintre. Cette composante du travail de Roberto Bernardi peut apparaître comme assez peu personnelle. Si vous avez en tête certaines tableaux classiques (pour ne pas dire pompiers), dans la plupart, de nombreux détails « signent » l’auto-satisfaction de rendre parfaitement, en vrac, la verrerie, la fourrure, le velours, sans parler des b.a.-ba du faux bois et du faux marbre. Paradoxalement, c’est un talent qui se remarque d’autant moins que le résultat est réussi. Comme contre exemple, je vous ai trouvé ce tableau de Luigi Benedienti représentant deux choux à la crème. La chantilly, vous voyez ? On dirait de la mayonnaise ou de la graisse à traire.
Mais du coup, si on se met deux minutes à la place de Roberto Bernardi, on peut imaginer quels efforts, quelles recherches, combien d’essais et finalement quelle satisfaction peut retirer un peintre qui la veille n’arrivait pas à rendre, je sais pas moi, le polychlorure de vinyle, et qui aujourd’hui y réussit. On doit alors avoir le sentiment d’être au plus près, au plus intime de la matière, d’en partager le secret. Oui, vraiment, ça doit être enthousiasmant, peut-être même assez pour se satisfaire de rassembler en vrac des trucs et des machins sur une table devant soit et de se dire : Chiche !
Retour à l’évier - donc au sujet - mais par un détour. Ayant fait l’effort d’aller jusqu’au site du peintre, j’ai poussé jusqu’à la page des liens, puis au-delà, jusqu’aux sites des galeries l’ayant exposé. Bien intéressant voyage, permettant très heureusement de situer Roberto Bernardi parmi d’autre peintres hyper-réalistes ou, pour reprendre une catégorie employée par l’une des galerie, parmi les peintres Photoréalistes. Y’en a des wagons et c’est une première surprise. Sous les trois ou quatre toiles de Roberto Bernardi émergeant à peine de la houle du Net se cachent des dizaines de peintres, des centaines d’œuvres partageant cette intention réaliste, du moins techniquement. Ce que j’ai vu rentre assez bien dans les catégories classiques : paysages, portrait et figure humaine, natures mortes, mais c’est pour mieux les détourner mon enfant. Les leçons de Duchamp et de sa « fontaine » ont été apprises, et retenues. Les paysages sont très volontiers urbains et les natures mortes font plus appel aux objets du quotidien, avec une surreprésentation des engins terrestres à moteur, qu’aux fleurs et aux fruits. Les mieux inspirés des peintres Photoréalistes - Roberto Bernardi en fait maintenant parti - se souviennent qu’en choisissant un sujet, ils imposent au spectateur d’y voir de l’art. Je dis « sujet » mais il faudrait préciser, ou plutôt inclure également le cadrage et le point de vue. Ce n’est plus, comme l’urinoir de Duchamp, seulement une provocation. En choisissant comme sujet de leurs œuvres des endroits, des objets, des scènes qu’on n’associerait pas spontanément sans eux à de l’art, tout pollués que nous sommes par des histoires de beauté, ces artistes témoignent à la fois de la réalité et de leur vision du monde.
Pour en finir avec le réalisme, puisque c’est de lui qu’est venu notre premier étonnement à la découverte de Roberto Bernardi, regarder des dizaines d’œuvres de ses contemporains, exposés comme lui dans les mêmes galeries, fait naître l’idée un peu curieuse que techniquement, le réalisme n’est pas seulement une qualité, mais apparaît également comme une quantité. On serait presque tenté d’en indiquer le pourcentage au regard de chaque peintre, voire devant chaque œuvre, certaines paraissant plus réalistes que d’autres. Mais cette tentation d’attribuer à Roberto Bernardi le maximum de la note, et l’Oscar de la « perfect image of reality » - pour reprendre l’argumentaire de la galerie Albemarle, qui parait bien avoir cédé à ce vertige - nous ferait décidément passer à côté de l’essentiel. Il suffit pourtant de le regarder, notre évier.
Je doute que ce soit un évier. On dirait beaucoup plus un lavabo, ce que tend à confirmer le carrelage, qui fait à mon avis plus salle de bain que cuisine. Et alors ? Alors à part la tasse en inox dans laquelle reste un fond de café au lait avec trop de lait et le gobelet qu’on sait même pas en quoi il est dans lequel stagne ce qui pourrait être du jaune d’œuf, le reste de la vaisselle est entièrement déjà propre. Et alors ? Et alors tu peux me dire ce qu’il y a de réaliste à rassembler sous un filet d’eau sans produit qui mousse de la vaisselle déjà propre avec deux fourchettes chirurgicalement stériles et pas d’assiette ? Non, on est bien dans une nature morte et donc dans un rassemblement d’éléments choisis, étudié, mis en scène, jusque dans la vue plongeante de trois quart, qui pourrait apparaître comme subjective, mais qui ne l’est pas. Si la scène nous était présenté du point de vue de celui qui s’apprêtait à faire la vaisselle, on aurait le robinet plutôt en face, à moins de vouloir tout faire en crabe… L’hypothèse nature morte se confirme. Du coup, je trouve beaucoup de parenté entre cette toile et d’autres du même, qui partagent cette mise en scène de matières, avec ici, peut-être une prédilection pour le métal, le verre et l’émail. On aura aussi noté la parfaite disposition des trois taches de couleur, le filet d’eau évitant de justesse, très dynamiquement, le centre géométrique de la composition et sans doute plein d’autres choses qui me sauteraient aux yeux s’il n’était l’heure de ma sieste.
Jimidi
Dans le genre, voir aussi Pedro Campos