e vous ai dit déjà, après quel circuit - assez simple finalement - les numéros du Monde Magazine s’empilent chez moi aux toilettes : les Duts sont abonnés au Monde quotidien et reçoivent donc tous ses suppléments, qu’ils me fourguent quand on va les voir le dimanche. Je les lis scrupuleusement. Je lis scrupuleusement tout ce qu’on me donne, y compris les publicités dans la boîte aux lettres, mais Le Monde Magazine, avec son côté « blogue sur papier » a nettement ma préférence et réussit chez moi l’exercice difficile consistant à rester en surface des vieux papiers tout en proposant un contenu très dense. L’autre contradiction magnifiquement résolue par ce magazine, mais n’est-ce pas juste le signe d’un travail journalistique réussi ? c’est de rester ancrée dans l’actualité, mais en allant mieux et plus loin que le seul buzz.
De temps en temps, Le Monde Magazine sort un numéro exceptionnellement réussi. C’est le cas me semble-t-il du N°56 daté du samedi 9 octobre 2010, montrant le fondateur de Facebook en couverture, photographié façon Dexter, les éclaboussures de sang en moins. Intéressant de la première à la dernière ligne :
En couverture - Facebook tisse sa toile - Menaces sur la vie privé, surstimulation cognitive... En inventant Facebook Mark Zuckergerg, 26 ans, a-t-il créé un monstre ? État de lieux, alors que sort le film The Social Network.
Les témoins - La mort est leur métier - Employés d’un pénitencier de l’Oklahoma, ils ont accompagné des condamnés dans leurs derniers instants. Voici leurs récits, pour la 8ème journée mondiale contre la peinte de mort, qui prend pour thème les Etats-Unis.
(...) Pour moi, le moment le plus dur a toujours été de rentrer à la maison : tu quittes tes collègues, tu marches sur le parking, il fait nuit, tout est calme autour de toi. Tu montes dans ta bagnole, tu démarres et tu conduis seul en silence. Tu n’allumes même pas la radio. Tu repenses juste à ce qui vient d’arriver et ça te parait irréel. Tu de dis : « j’ai parlé à une homme il y a une demi-heure et cet homme est mort maintenant. » (...)
L’enquête - Sciences Po pense sexes - Les « gender studies » se développent en France : illustration à Sciences Po, où un cycle de cours consacré aux différences sexuelles devient obligatoire.
Le reportage - La Dacia séduit sans faire rêver - Et si la rustique de Renault révélait une nouvelle façon d’envisager l’auto ? Vérification auprès de conducteurs que la marque a rassemblé lors de pique-niques géants.
(...) L’industrie automobile a en effet toujours été convaincue que la voiture n’est pas un objet comme les autres, qu’on sera toujours prêt à dépenser sans compter pour s’en offrir une, qu’il s’agit d’un produit de rêve. Ce n’est plus vrai.
Le portrait - Yoko Ono, la mémoire de Lennon - L’ex-Beatles, assassiné il y a trente ans, aurait eu 70 ans cette année. Sa veuve légendaire a minutieusement supervisé les rééditions parues pour l’occasion.
La rencontre - Moebius, le trait en transe - Avant l’ouverture de sa grande rétrospective à la foncation Cartier, le maître de la bande dessinée a confié au Monde Magazine ses secrets de créateur.
Histoire - Hanoï, rêve millénaire - Sous les anciens rois puis sous les collons français, la capitale vietnamienne, fondée il y a mille ans, a traversé les tourments de l’histoire. La paix revenue, elle connaît depuis vingt ans la fièvre d’un développement accéléré.
Voilà pour les reportages, mais Le Monde Magazine, c’est également nombre de chroniques régulières, parmi lesquelles celle de JP GÉNÉ titrée « Goût », dans laquelle vous trouverez cette fois la recette du maquereau vin blanc, qu’on ne cuit pas : Dans une casserole, on a mis une bouteille de muscadet avec une cuillerée à soupe de vinaigre de vin blanc, persil plat, estragon, poivre en grains, gousse d’ail écrasée. Tout cela porté à ébullition va cuire une dizaine de minutes à feu doux. Passé au chinois, ce « court-bouillon » est versé brûlant sur les poissons soigneusement vidées, lavés, épongés et disposés dans un plat ceux. Le temps qu’ils reposent une nuit au frais, la maquereaux seront « cuits ». Epluchés, les filets levés et mouillés d’un peu de jus, ils sont prêts pour le service.
C’est également la chronique philo de Jean BIRNBAUM, consacrée ici à Claude Lefort, remettant le (pas encore ?) chroniqueur à sa place d’une voix tendre et impitoyable : « Vous parlez de l’espérance d’une drôle de façon. La question qui nous est posée, la question de l’avenir, c’est justement celle des conflits internes à la démocratie. Si vous me dites que ce n’est pas exaltant, moi je vous réponds que la liberté est la seule chose qui m’ai exalté, tout au long de ma vie, et que c’est celle qui m’exaltera jusqu’à mon dernier souffle. »
Mais on trouvera également, regroupés dans le titre fourre-tout de « Passions » des trucs et des machins, comme cette table basse hors de prix, que vous transformerez - en rêve - en sofa en insérant dedans d’amusantes brioches de mousse.
Sans parler des photos, des dessins de Plantu, du « Je n’en serais pas arrivé là si... » consacré à Carole Bouquet : (...) « Honte de moi, peur qu’on me juge, trouille d’être démasquée et prise en flagrant délit d’imposture. (... plus tard, plus loin...) Sur une scène de théâtre, je suis désormais chez moi. La fragilité affleure toujours, mais le plaisir est de plus en plus grand. » et des « Trois coups » du rédac chef, ouvrant le journal sur une chronique plutôt qu’un édito, donnant le ton des 73 pages suivants : politiquement incorrectes et stylistiquement décomplexées.
N’insistez pas, ce numéro là, je ne vous le prête pas. Allez le voler chez votre dentiste.