y a peu de chances que le mauvais jeu de mot de mon titre ait été une des sources d’inspiration de Miina Äkkijyrkkä pour ses sculptures de vaches réalisées avec des pièces d’automobiles. D’autant que « vache » en finnois, ça se dit « lehmä » parait-il. Je ne crois pas non plus, du moins pas complètement, au portrait rural du seul article sur elle reproduit sur son site. Si j’ai bien compris - je lis très mal l’anglais - Miina Äkkijyrkkä ne serait pas habituée au champagne et aux chandeliers des réceptions officielles, ni au gratin des finnois, puisqu’elle est fermière. Doit-on dès lors comprendre qu’elle tire ses sujets d’inspiration - les vaches - de son activité quotidienne - les vaches ? Ça me parait un peu simpliste comme raccourci. Que je sache, le Facteur Cheval a distribué des lettres et des colis toute sa vie, mais quand il a élevé son Palais Idéal, il ne lui a donné la forme ni d’une sacoche ni d’un pli recommandé.
Deux question émergent pour moi de la démarche et du travail de Miina Äkkijyrkkä, mais sur lesquelles on aura peu de réponses, la documentation en français la concernant étant peu abondante, du moins sur Google. La première est bien celle du point de convergence entre la vie personnelle de l’artiste et son expression artistique. À ce point de convergence, on trouve effectivement une vache, mais sans doute plantée là de longue date puisque dans son CV, Miina Äkkijyrkkä nous dit avoir suivi de seize à vingt ans des études dans la filière agricole pour ensuite entrer en 1969 aux Beaux-Arts.
Son CV artistiques ne mentionne pas sa participation à des foires aux bestiaux, mais il témoigne de ses riches et continues contributions à des expositions. Je ne suis donc pas loin de croire que Miina Äkkijyrkkä n’est pas exactement une fermière touchée un jour par la grâce artistique, une Susan Boyle de la portière cabossée, mais plutôt une sculptœur ayant opéré, à un moment où à un autre, un retour à la terre, conciliant ainsi deux composantes essentielles de sa personne et trouvant dans cette perspective une vache au point de rencontre de ces deux parallèles. Donc elle a dû élever, nourrir, garder, sculpter, peindre, dessiner, modeler un certain nombre de vaches avant d’en ériger des monumentales en carrosserie.
Une fois esquissé ce que pouvait représenter la vache pour Miina Äkkijyrkkä, reste l’autre grande question de savoir ce qui peut bien lier pour elle, et pour nous, vaches et voitures. Je vais y venir, mais reste quand même la question subsidiaire de la vache dans l’art. Je rassure tout de suite Mélanie (de Tours, 3 436 hectares), je vais faire court. Je ne sais pas pour vous, mais perso, je ne vois pas d’emblée pourquoi son design lourdingue prédisposerait la vache à l’adoration, même sous les traits d’un veau plaqué or. Le cheval, on voit, le taureau pourquoi pas, mais la vache ? Or ça fait très longtemps que ça dure et ce carnet ne manque pas de relever quand il peut des exemples - ils sont nombreux - montrant que ces ruminants ne sont pas seulement une source de lait et de steak, mais également d’inspiration.
Mais pour ne pas nous éloigner trop de Miina Äkkijyrkkä - après tout, c’est d’elle qu’il s’agit - c’est peut-être moins du côté de la ferme que la forme qu’il nous faut chercher ce qui l’inspire dans ses modèles. J’espère ne pas trop me faire d’ennemis chez les bovins en risquant la remarque qui suit, mais visuellement, la vache, par son côté un peu approximatif, elle a déjà un peu l’air d’avoir été conçue et réalisée avec des pièces récupérées à droite à gauche, non ?
Au départ, je ne sais pas - encore que les gnous et les zébus me paraissent esthétiquement plus cohérents - mais à l’arrivée, c’est à dire après des générations et des générations durant lesquelles les éleveurs ont favorisé certaines caractéristiques commercialement souhaitables plutôt que d’autres, la vache (surtout laitière) apparaît comme une créature très artificielle dans ses proportions. Tu ne vois pas ? Ok, alors imagine Mélanie avec les seins aussi gros que la tête et chaussant du 36 alors qu’elle taille du 54. Mieux, là ?
Miina Äkkijyrkkä voit-elle ses modèles sortant de croisements contrôlés pour entrer dans notre chaîne alimentaire, comme ailleurs des modèles de voiture sortir des chaînes de production pour s’entasser en troupeau sur les routes et finir en carcasses ? Pas sûr. Il faudrait pouvoir lui demander.
Il y a d’autres perspectives, plus simples, qui peuvent rapprocher la vache des voitures. Cette histoire de troupeau bien sûr - on se rappellera utilement les embouteillages de bovins de certains westerns - mais il me semble que Miina Äkkijyrkkä poursuit un propos plus singulier. Je ne vois pas que les troupeaux l’intéressent. Elle nous montres des vaches individuelles, chacune dans une posture particulière. Je me demande alors si une des propositions de l’artiste n’est pas de souligner notre capacité d’attachement. Les bergers et les instits le savent, ce qui apparaît à des yeux extérieurs comme un collectif formé d’unités quasi semblables est en fait constitués d’individus distincts avec lesquels s’établissent des liens différents. J’espère ne pas pousser trop loin en avançant que nous sommes beaucoup plus liés à notre voiture, à nos enfants et à nos chats qu’à n’importe quels autres du même modèle. Il y a beaucoup d’affection dans les vaches de Miina Äkkijyrkkä. Je suis quasi sûr qu’elle pensait à une vache et celle là seulement en réalisant chacune de ses sculptures.
Reste le côté « récup », il y a de l’art dans nos déchets, l'écologie, tout ça... Même si l’élevage intensif et l’automobile pèsent comme deux questions environnementales majeures actuellement et même si on les trouvaient alors réunies dans le travail de Miina Äkkijyrkkä, je ne suis pas certain qu’on le fasse à bon droit. Finalement, je crois que le travail de Miina Äkkijyrkkä se situe dans une démarche plus intellectuelle qu’uniquement sensible. Les mouvements, les attitudes, les formes de ses compagnes l’ont mise sur la piste d’une mécanique qui n’est pas seulement celle du coeur et qu’interroge magnifiquement ses oeuvres.
Merde ! J’allais oublier : j’aime beaucoup ce que vous faites.
NB : pour lire facilement le nom de l'artiste, virer les trémas et les consonnes redoublées, ça donne AKIJIRKA et c'est plus facile.